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2021 : l’opportunité d’une troisième voie ?

« Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. Â» disait Blaise Pascal. L'expérience inédite du confinement nous aura-t-elle permis de faire mentir Pascal ? Les statistiques actuelles en matière de santé mentale des Français nous permettent d'en douter… et accréditent plutôt la thèse d'un découragement grandissant.

Temps de lecture : 6 minutes

2021 : l’opportunité d’une troisième voie ?

En préambule

Comment faire face à la morosité ambiante ? Comment faire preuve de résilience en attendant la sortie prochaine de cette crise ? C’est tout l’objet de cet article que d’investiguer cette question ô combien importante pour bien démarrer l’année.

« Crise covid : une troisième vague… psychique »

Ce titre, Â«Â Crise covid : une troisième vague… psychique » faisait la Une des Échos du week-end du 11 décembre 2020. Depuis quelques semaines les grands médias (Le Monde, France Inter, France Culture) nous alertent sur un phénomène largement minimisé : l’état de déprime voire de dépression croissant de nombre de Français.

Comment faire face à la morosité ambiante ? Comment faire preuve de résilience en attendant la sortie prochaine de cette crise ? Telles étaient les questions que je me posais récemment quand par chance Â«Â Vendredi ou les limbes du Pacifique », de Michel Tournier fit son apparition dans ma pile de livres à lire de toute urgence en cette période de crise. Comme souvent, la littérature et les mythes constituent une formidable source d’inspiration pour penser le présent autrement. Plongeons-nous donc dans l’histoire de Robinson et ses enseignements.

Les réflexes de survie de Robinson confiné

Unique rescapé du naufrage du Virginie, le jeune Robinson échoue sur une île déserte d’humains. Confronté à la solitude et l’absence d’altérité, cédant dans un premier temps au découragement, il reprend progressivement pied en cherchant à domestiquer l’île et ses habitants (les animaux sauvages), à cultiver, produire, en fait à retrouver une forme de civilisation. Son entreprise est un succès. Il élabore une charte de fonctionnement de l’île, avec ses devoirs et sanctions, se soumettant ainsi lui-même à un règlement stricte. Sa discipline est implacable !* Dans ses rares moments d’accablement, Robinson s’abandonne, se relâche ; attitudes formellement proscrites par son règlement et passibles de peines sévères. Bien qu’il trouve par moment un peu absurde de s’imposer un tel rythme de travail, Robinson, qui ne connaissait pas les Shadoks (voir la vidéo), poursuit la mission qu’il s’est fixée.

Au bout de nombreuses années de solitude, Robinson aperçoit une embarcation et parmi elle un homme, visiblement destiné à subir un sacrifice. Par le truchement d’une suite improbable de circonstances, cet homme réussit à se sauver grâce… au maître des lieux, Robinson, qui voulait pourtant, par peur d’être découvert, le supprimer ! Puisque Vendredi (prénom que Robinson attribue à cet homme qui ne parle pas sa langue) lui doit la vie, il paraît Â«Â naturel » à Robinson d’en faire son esclave… jusqu’à ce qu’un évènement inattendu renverse la situation.

La troisième voie de Robinson…

Robinson et vendredi sont animés de rapports au monde opposés : la maîtrise et l’anticipation du futur de l’un, la capacité à se contenter de ce qui se présente de l’autre. Un matin, profitant de l’absence de Robinson, Vendredi fume la pipe de son maître dans la grotte jouxtant son habitation. Robinson, à son retour, prend Vendredi sur le fait et s’apprête à lui infliger une sévère punition. Ce dernier, voyant s’approcher un Robinson furieux, cherche par réflexe à se débarrasser de la pipe et la lance dans le fond de la grotte. Or…

Au fond de la grotte s’entassent depuis des années des récoltes de riz et céréales, des objets rescapés du naufrage et… des barils de poudre, eux mêmes sauvés du Virginie ! Une détonation suivie d’une gigantesque explosion se produit. Des années de labeur sont anéanties : la demeure de Robinson, ses récoltes, ses terres cultivées, les enclos avec des animaux.

Curieusement, Robinson, sidéré, n’est pas furieux après Vendredi. Depuis quelques années, il pressent qu’un changement en lui est possible, Â«Â qu’il est possible de changer sans déchoir », qu’entre l’hyper contrôle de son environnement et la déchéance totale figure peut-être une alternative… Une troisième voie. Cet évènement tragique s’avère libérateur, mettant en évidence ce qui au fond n’avait plus de sens et méritait d’être abandonné au profit d’une autre manière de faire.

Quelques années passent. Les relations entre Robinson et Vendredi sont transformées et devenues égalitaires. Lorsqu’un navire anglais finit pas accoster, le dénouement de l’histoire est inattendue. Robinson a enfin l’opportunité de retrouver sa terre natale ! Pourtant, voyant les hommes incarner sa vie d’avant – à savoir Â«Â la cupidité, l’orgueil, la violence » – Robinson n’est pas animé par le désir de partir. Il ne veut plus courir après le temps. Robinson veut vivre, en harmonie avec l’île. Robinson reste, heureux de continuer à vivre avec Vendredi. Mais Vendredi, sans en parler à Robinson, monte à bord du navire… Rassurez-vous, passée la déception lorsque Robinson découvre que Vendredi s’est enfui, une bonne surprise attend tout de même Robinson. Un petit mousse mal traité sur le navire est resté sur l’île…

La résilience au bout du chemin

Robinson des temps modernes à la faveur du confinement, nous pouvons être ballotés entre plusieurs directions : l’envie de continuer exactement comme avant, la tentation de succomber au découragement (cf. la deuxième partie de mon livre Â«Â Les choses importantes ») et une voie alternative. Une troisième voie. Une troisième voie qu’il revient à chacun d’inventer. Robinson a cessé de s’épuiser à lutter contre le désordre apparent de l’île et contre sa condition. Il compose avec l’île, et vit, au présent.

Dans ce contexte où nous ne maîtrisons que peu de choses, il me semble intéressant de nous concentrer sur nos intentions et sur une éventuelle troisième voie en ce début d’année 2021. A quoi pourrait ressembler cette troisième voie pour chacun.e d’entre nous ? Que pouvons-nous souhaiter de différent pour cette année ? Qu’aimerions-nous cultiver, voir grandir en cette année 2021 ? En accord avec quelles valeurs fondamentales pourrions-nous souhaiter être davantage aligné.e.s ? Autant de questions à méditer, tout en gardant en tête cette citation de Marc Aurèle :

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.

Très belle année à vous !