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Comment les entreprises font fuir les meilleurs ?

Dans la comédie (in)humaine, ouvrage de l'économiste Nicolas Bouzou et de la philosophe Julia De Funes, les auteurs partagent leurs analyses concernant la perte de sens que vivent de nombreux salariés dans de très grandes organisations…et qui les incitent à quitter le navire. Leur récit illustre parfaitement ce que de nombreux cadres et dirigeants que j'accompagne vivent au quotidien.

Temps de lecture : 4 minutes

Comment les entreprises font fuir les meilleurs ?

Même si je ne partage pas l’affichage très libéral des auteurs, j’apprécie leur analyse éclairante et assez drôle. Je vous livre ici quelques éléments, assortis de réserves sur leurs propositions.


Sur le constat, pas de surprises. Trop de process et de réunions, des procédures qui n’ont pas de sens, un excès de reporting au détriment du cœur de métier, un manque de visibilité en matière de gouvernance et de stratégie, des modes de management d’un autre âge, disons paternalistes et directifs… Pour faire simple, alors qu’il faudrait valoriser l’intelligence, le courage et l’autonomie, les salariés se retrouvent non seulement empêchés de mobiliser ces qualités mais également de bien faire leur travail ! Le phénomène n’est pas nouveau mais il s’est aggravé après la crise de 2008, ayant engendré « plus de centralisation, plus de contrôles, plus de process ».

Une classification éclairante des modes de management


Là où réside l’originalité de l’ouvrage est dans sa classification et dans sa critique de trois tendances managériales :


  • Le management paternaliste, caractérisé par l’obsession de la surveillance
  • Le management métaphysique, caractérisé par les bons sentiments (bonheur au travail, bienveillance) et les grandes abstractions telle que l’intelligence collective
  • Le management « positiviste », faisant ainsi référence au penseur des Lumières Auguste Comte, que nous pourrions qualifier de « pragmatique », qui cherche à créer des conditions de l’efficacité en cherchant ce qui fonctionne.

Si le premier mode de management est assez connu car relativement classique dans des organisations très hiérarchisés, le deuxième a le mérite de mettre en évidence les dérives du management par les grands concepts comme le « bonheur au travail ». Le troisième ayant, on le devine, la faveur des auteurs.

« L’entreprise n’est pas un parc d’attraction »


Les auteurs critiquent fortement l’injonction au bonheur au entreprise, argumentant que le bonheur est affaire privée et qu’il faut arrêter de vouloir faire de la « bébéphilie » et de traiter les salariés comme des enfants, à coup de poufs colorés, distributeurs de bonbons Haribo et séminaires de teambuilding à base de jeux. Le critique systématique du jeu est un peu dogmatique, même si je souscris totalement à l’idée qu’il y a en tout cas un paradoxe à parler de bonheur au travail et de programme de « well being » quand les salariés manquent de l’essentiel au quotidien : du sens, de l’autonomie, et du temps pour créer des liens. Pas étonnant dans ce contexte de « définalisation » qu’il en résulte une fuite des cerveaux et l’augmentation de la survenue de burn-out et du brown-out.

« Mobiliser l’intelligence »


Mais alors que faire ?


À l’heure de la société de la connaissance, où les tâches élémentaires et à faible valeur ajoutée sont automatisées, l’enjeu RH de premier ordre devrait être de mobiliser au mieux l’intelligence humaine pour ce qu’elle est : « sa capacité à mettre en œuvre un projet pour transformer la réalité ». Et ce d’autant plus que ce qui motivent les salariés, et notamment les jeunes générations est d’avoir un impact sur le monde.


Face à cela les Julia De Funes et Nicolas Bouzou préconisent 5 principes sur lesquels nous ne pouvons qu’être en phase


  • Simplicité, autonomie, culture
  • Encourager l’excellence
  • Parier sur la confiance
  • Retrouver le courage
  • Oser la confrontation d’un dialogue véritable

Les 14 propositions des auteurs pour aller dans ce sens, bien qu’elles soient intéressantes (par exemple réduire de 50% le temps passé en réunion et en brainstorming, supprimer les chartes éthiques ou de valeurs « qui sont dans 99% des cas du verbiage bien-pensant » ) passent, à mon avis un peu à côté du sujet, c’est à dire la culture managériale incarnée par la Direction Générale. Car pour transformer durablement une organisation et les modes de management qui sont critiqués par les auteurs, c’est avant tout la Direction Générale qui doit se transformer elle-même. Cela ne s’improvise pas et doit souvent être accompagné, par exemple par un coaching du dirigeant et/ou un coaching d’organisation, ce que les auteurs ne mentionnent pas… mais ils sont économiste et philosophe, et non coach… Nobody is perfect 😉