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Des clés pour comprendre : Covid 19, une crise organisationnelle

Cet essai, rédigé par des chercheurs spécialistes de sociologie des organisations et de l'action publique, nous invite à tirer de premiers enseignements de la crise que nous traversons afin de mieux anticiper les suivantes. Un manuel indispensable pour les décideurs politiques mais également très éclairant pour tout dirigeant.e d'une organisation.

Temps de lecture : 5 minutes

Des clés pour comprendre : Covid 19, une crise organisationnelle

En préambule

Comment en arrive-t-on à décider de manière précipitée de confiner toute une population ? Comment en vient-on à créer dans l’urgence de nouvelles organisations et dispositions alors que des plans et structures de gestion de crise existent déjà pour y faire face ? C’est toute l’ambition de cet ouvrage, publié le 8 octobre 2020 aux Presses de Sciences Po, que de répondre à ces questions. Pour ce faire, les auteurs s’appuient sur une enquête menée auprès d’une quarantaine d’acteurs de la crise et sur des comparaisons avec de précédentes crises (missiles de Cuba ou tempête de 1999 par exemple).

Gouverner, c’est prévoir.

Une tendance humaine peut faire barrage à la nécessité de prévoir : l’excès de confiance, parfois nommé « biais d’optimisme ». Mais croire que cette tendance relèverait d’un unique biais cognitif est une erreur contre laquelle les auteurs nous mettent en garde. Ces spécialistes de la sociologie des organisations soulignent en effet la dynamique collective à l’œuvre dans la fabrique du sentiment indu de confiance qui habite parfois les dirigeants.

Ainsi la sous-estimation de la menace du virus par nos dirigeants au début de l’épidémie relèverait-elle avant tout d’une lenteur dans les circuits de prise de décision, reposant eux-mêmes sur une prise en compte peu réactive des informations émanent notamment du terrain. Une lenteur des circuits de décision s’expliquant entre autre par la complexité organisationnelle, en d’autres termes, par une lourdeur bureaucratique. Cher lecteur, à la réflexion, cela vous surprend-il ?!

Prenons l’exemple des tests. D’après Jean-François Delfraissy, Président du conseil scientifique (structure créée dans le cadre de la gestion de la crise du la covid 19) la capacité des tests en France serait largement équivalente à celle de l’Allemagne mais il y aurait une sous-utilisation de nos capacités pour cause de lenteur dans les circuits de décision. Je dois dire que c’est ma conviction depuis le début de cette crise : nous avons toutes les ressources (capacité à se mobiliser pour produire des masques, laboratoires de recherches de haut niveau, plan de prévention des risques), le problème ne vient pas de là… Et bien circonscrire le problème, tous les bons coachs le savent, c’est essentiel !

Coopération et coordination : maillon faible des dispositifs organisationnels

Quel est donc le problème ? Cet essai nous en donne un aperçu convaincant : la difficulté à coopérer et coordonner l’ensemble des acteurs.


En temps de crise les procédures et les outils à la disposition des participants importent moins que la capacité de se coordonner.

Or c’est précisément ce qui a fait défaut durant cette crise, « formidable paradoxe d’une société saturée d’organisations de toutes sortes » mais rencontrant tant de difficultés à s’organiser de manière efficiente.

Les interviews réalisées illustrent à de nombreuses reprises le manque de coordination voire la compétition et les conflits entre les acteurs, par exemple en matière d’approvisionnement et de production des masques ou de traitement du flux de patients. Les auteurs mettent ainsi en évidence que c’est la coopération sur le terrain (entre Ehpad, médecins généralistes, SAMU, sapeurs-pompiers, urgentistes, services de réanimation) qui a souvent permis de faire la différence entre les hôpitaux ayant évité la saturation et les autres.

Autre élément ayant alimenté la crise organisationnelle : la« créativité organisationnelle », encore qualifiée « d’inventivité institutionnelle », mécanismes typiques de la reproduction du cercle vicieux bureaucratique identifié par Michel Crozier il y a près de 60 ans. Fallait-il, s’interroge les auteurs, créer de toute pièce un conseil scientifique alors que des instances scientifiques pérennes (Santé publique France, Haute Autorité de Santé, Conférence nationale de santé) existent déjà ? Dans l’urgence vouloir décider en s’entourant d’un cercle restreint est une logique qui est souvent à l’œuvre. Mais l’expérience prouve que décider en se coupant d’une partie des acteurs concernées est rarement efficace. « Ce que le dirigeant gagne (ou croit gagner) en autonomie de décision, il le perd souvent en capacité de mise en œuvre ».

Quels enseignements tirer ?

Au fond est-il si surprenant que les logiques à l’œuvre en temps normal soient renforcées en temps de crise ? C’est bien tout l’enjeu de tirer les leçons de cette crise afin de prévenir les prochaines en mettant en place les changements nécessaires en temps « normal ».

Pour ce faire, les auteurs recommandent principalement trois choses : mettre en place des retours d’expérience, éviter de chercher des coupables mais plutôt identifier les causes structurelles et former les décideurs à gouverner dans l’incertitude.

« Les dynamiques des crises résultent d’un ensemble de facteurs qui interagissent : décisions, difficultés à se coordonner et à communiquer, défaillances techniques, trop grand cloisonnement entre organisations ou au contraire trop fortes interdépendances, concurrence dans l’accès aux ressources rares. » Chercher un homme (ou une femme) providentielle ou un bouc émissaire nous ferait passer à côté du plus important : se doter de la possibilité de prévenir, en ayant tiré les leçons du passé.

Livre

Covid 19 : une crise organisationnelleHenri Bergeron, Olivier Borraz, Patrick Castel, François Dedieu

Une enquête « à chaud » auprès d'acteurs de la crise du Covid-19, qui, plutôt que des défaillances individuelles ou des dysfonctionnements techniques, met en avant des facteurs organisationnels : mauvaises leçons tirées du passé, faux sentiment de sécurité, confiance aveugle dans les outils de planification. De mars à mai 2020, les Français ont dû rester confinés chez eux. Comment cette mesure aux effets considérables a-t-elle pu être présentée comme la seule solution face à la pandémie de Covid-19 ? Leur analyse des relations de pouvoir dans la gestion de la crise révèle d’autres phénomènes surprenants, tels que la création de nouvelles instances dans un paysage déjà saturé d’organisations et le niveau inédit de coopération au sein des hôpitaux. Un retour d'expérience nécessaire pour améliorer la préparation aux situations extrêmes et repenser la formation des décideurs chargés de les gérer..

Éditeur : SciencesPo Les presses