Face au culte de l’urgence, le « slow » vient à notre secours
"Rentrée tout va trop vite !", titrait le monde magasine du 24 août, faisant ainsi référence à l'ouvrage du sociologue Hartmut Rosa, "'Accélération".
Temps de lecture : 5 minutes
"Rentrée tout va trop vite !", titrait le monde magasine du 24 août, faisant ainsi référence à l'ouvrage du sociologue Hartmut Rosa, "'Accélération".
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En cette rentrée, le la est donné « Nous n’échappons pas à l’accélération ». Est-ce là une vérité incontestable ? Probablement. C’est en tout cas ce qu’affirme ce sociologue allemand déclarant qu’il est « impossible d’y résister »… Serions-nous donc condamnés à courir après le temps ?
« Nous disposons aujourd’hui de plus de temps que nos ancêtres et pourtant le temps manque » déclare Patrick Viveret, philosophe, dans la préface du livre de Pascale d’Erm « Vivre plus lentement ».
Le sujet n’est pas nouveau, il est dans l’air du temps, d’une époque, que Nicole Aubert, sociologue et psychologue, caractérise par son « culte de l’urgence » ambiant. Un culte de l’urgence qui enivre, exalte et stimule certains, en fait déprimer et vaciller d’autres. Internet et ses mails, les blackberrys, portables et autres outils de communication en temps réels ont fortement accéléré l’ instantanéité de l’accès à l’information, la possibilité de tout avoir à porter de mains, d’abolir les frontières spatiales et temporelles en un clic. Selon Nicole Aubert, ces techniques impactent profondément nos comportements et nos attentes dans le sens du court-terme et de l’addiction à la vitesse. Et dans l’immédiateté du clic, la prise de recul décroit à mesure que le pouvoir hypnotique de la vitesse croît.
Pour contrer ces tendances sociétales fortes, des îlots, idéaux et mesures de ralentissement émergent un peu partout, encore discrètement… Il me semble urgent de s’y intéresser… car les modes de vies prônés et incarnés laissent place à la vacance, à la disponibilité mentale, au temps retrouvé, au goût du travail bien fait, aux liens et à une certaine mesure. Des choses importantes et essentielles.
C’est dans le pays de la Dolce Vita que naquit en 1999, dans une petite ville toscane, Greve in Chianti, le réseau des villes lentes ( http://www.cittaslow.org/). Depuis, une centaine de villes dans le monde ont entamé leur révolution lente. Leur objectif ? Promouvoir l’art du bien-vivre. Le point de départ de ce mouvement est également né en Italie avec le mouvement Slow food (http://www.slowfood.com/) initié pour protester contre l’installation d’un fast food en plein cœur de Rome. Ce mouvement encourage le retour aux valeurs de la cuisine locale, du terroir, de la qualité, du goût, du temps de la pause déjeuner… Orvieto, en Italie, est une ville emblématique de ce mouvement de villes qui favorisent la qualité de vie et la lenteur urbaine en privilégiant le développement des espaces piétons, des terrasses de cafés et des commerces de proximité et de produits locaux.
Les artistes proches de cette tendance cultivent leur « tempo créateur », en réaction à la rapidité excessive de la production d’œuvres standardisées. « Le plaisir est dans le processus [de création], cela permet d’avancer, de se connaitre, de laisser s’opérer un phénomène de décantation, essentiel pour laisser émerger les vraies bonnes idées » explique Patrick Jouin, créateur des Vélib’s, dans l’ouvrage « Vivre plus lentement » de Pascale D’Erm. Les valeurs de ces artistes : l’authenticité, la simplicité, le naturel.
C’est la proposition de Frédéric Gros. « Marcher n’est pas un sport »… ainsi commence son essai « Marcher, une philosophie ». En marge de la performance, de la technique et du chronomètre, Frédéric Gros nous invite, sur les pas de Rimbaud, Rousseau et bien d’autres, à retrouver, par la marche et la randonnée, l’essentielle liberté. Car en marchant, nous dit-il, on se déleste de ses soucis et a fortiori dans une marche de plusieurs jours, « on se libère du carcan des habitudes »…
Le Slow management… plus anciennement nommé « management by walking around », MBWA, vient de faire son apparition. L’ idée, si elle n’est pas récente, n’en demeure pas moins essentielle. Présenté par Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïck Roch dans leur essai « Eloge du bien-être au travail », le slow management remet au goût du jour un basique du management – et de la vie en société me semble t-il- : l’écoute. Entre autres prescriptions des auteurs à l’endroit des managers : sortez de votre bureau, dégagez du temps pour, par exemple, prendre un café avec vos collaborateurs, prendre le « pouls » de vos équipes et « comprendre ce qui se passe dans leurs têtes ». Certes le dernier point me parait très ambitieux voire présomptueux mais je rejoins les auteurs sur la nécessité en la matière, comme dans bien d’autres d’ailleurs, de revenir sur l’essentiel…
Quelle est donc ma conclusion ? Urgent de ralentir ? Ce serait alors une injonction bien paradoxale ! C’est à dire une exigence qui vous place devant une situation insoluble car elle porte en elle deux contraintes qui s’opposent, une double contrainte. Il est d’ailleurs intéressant d’observer, comme le fait Bertrand Meheust dans « la politique de l’oxymore », que ces figures de styles rassemblant des termes très éloignés voire opposés que l’on nomme oxymore prolifèrent dans notre société contemporaine: flexisécurité, développement durable, moralisation du capitalisme… Ces oxymores sont l’expression des tensions que notre société traverse et engendre et des équations insolubles qu’elle tente de résoudre.
Les journées n’ayant toujours que 24h, ce n’est pas le temps qui s’accélère mais bien le nombre de choses que nous voulons ou que l’on nous demande de faire en une journée qui augmente! Et c’est là que cela se complique car nous ne pouvons pas agir sur le temps. Mais nous pouvons agir en opérant un tri sélectif dans nos priorités afin de nous concentrer sur l’essentiel. CQFD. Un essentiel toujours à requestionner et contextualiser.
« Vivre plus lentement », de Pascale D’Erm , Les éditions Ulmer, avril 2010
« Éloge du bien-être au travail », de Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïck Roch, Presse Universitaire de Grenoble, avril 2010
« Accélération » de Hartmut Rosa, La découverte, avril 2010
« Marcher une philosophie », de Frédéric Gros, carnetsnord, 2009
« La politique de l’oxymore » de Bertrand Meheust, La découverte 2009
« Le culte de l’urgence, la société malade du temps », Nicole Aubert, Flammarion, 2003