En préambule
Critiquant le culte de l’urgence permanente auquel nous nous soumettons souvent bien volontiers, la philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet nous convie, dans un essai intitulé « Éloge du retard », à une réflexion en profondeur sur le temps, le temps du désir (qui requiert du vide pour émerger), le temps de l’affirmation de soi, le temps du travail bien fait.
Précision utile : l’éloge du retard que développe l’auteure n’est nullement un art de faire attendre son équipe, son client ou son fournisseur. Mais alors de quel retard s’agit-il ?
Le retard, art subversif d’intercaler des instants vides
Le vide a déserté nos agendas, les « temps morts » ayant été chassés depuis longtemps par une « course folle destinée à gagner du temps ». Mais si les temps morts, ainsi mal nommés (mal nommer les choses c’est ajouter du malheur au monde disait Albert Camus), représentaient plutôt des instants vivants, source de créativité ? Telle est la conviction étayée d’Hèlène L’heuillet, voyant dans la quête permanente d’optimisation une source d’aliénation (bien plus que de libération) menant tout droit au burn-out.
La société contemporaine, nous dit-elle, exige de nous « de ne jamais rien rater, de ne jamais rien manquer, d’être toujours informé en temps réel de tout ce qui se passe ». Exigence qui entre en contradiction avec ce que toute culture humaine, a minima de temps en temps en temps requiert : « une attention profonde ».
Ainsi, dans un chapitre intitulé « rêver de dormir », Hélène L’Heuillet établit un lien direct entre la fatigue, le manque de sommeil, la parcellisation des activités et l’hyper-stimulation tous azimuts. Car pour dormir, il faut cesser d’être stimulé… et cesser de repasser en boucle ce qui n’a pas eu le temps d’être fait dans les règles de l’art ! « L’insomnie est l’équivalent nocturne de l’absence de concentration diurne » écrit-elle. Je la rejoins totalement sur ce point : la captation de notre attention est véritable phénomène de société, source de nombreux maux.
Tout rapport de force est un rapport de temps. La force consiste à demander quelque chose en urgence, toutes affaires cessantes, en donnant une date intenable.
Hélène L'Heuillet
Le retard, ou l’héroïsme du professionnalisme
Pour y remédier, c’est une véritable sanctuarisation de plages de concentration à laquelle il est nécessaire de recourir ! Une sanctuarisation permettant de retrouver le plaisir du travail bien fait, le plaisir de la satisfaction de notre conscience professionnelle. Une conscience professionnelle qui selon Hélène L’Heuillet « relève quasiment de l’héroïsme (voire de la dissidence) ou de la folie, puisqu’elle est le choix du retard. »
Choisir le retard serait donc un acte de résistance face à la pression du toujours plus, cette course folle dont nous sommes les victimes consentantes.
Le terme retard choisi par Hélène L’Heuillet peut déranger tant le retard a mauvaise presse. Mais au fond, pour reprendre de temps à autre notre liberté, avons-nous d’autre choix que de nous accorder ce… retard ?
A l’heure proche des vacances où j’écris ces lignes, je ne peux que vous souhaitez de vous accorder une vraie pause en cette fin d’année, de vous autoriser à souffler et vous faire plaisir. Plus qu’une question de philosophie, je crois que c’est tout simplement vital !