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Entrez rêveurs, sortez manageurs

"Doux rêveur s'abstenir", voilà ce qui figurait noir sur blanc sur la convocation à l'entrée de la classe préparatoire HEC que j'allais intégrer deux mois plus tard.

Temps de lecture : 4 minutes

Entrez rêveurs, sortez manageurs

En préambule


Une phrase que je n’ai jamais oubliée. Le titre de ce livre, aperçu par hasard en librairie, m’a donc immédiatement interpelée ! Ni une ni deux j’ai acheté cet essai, paru en janvier 2021, et bien sûr je l’ai lu, assez vite d’ailleurs et ce d’autant plus que le contenu résonne particulièrement avec deux échanges récents avec des personnes que j’accompagne actuellement en coaching.

Se libérer du formatage


Armelle est Directrice commerciale et a évolué au sein d’entreprises multinationales, avec un fort niveau de pression depuis 15 ans. Ayant récemment intégré une PME à dimension humaine, Armelle continue à s’imposer une forte exigence sur ses résultats alors que son employeur met plutôt l’accent sur la qualité des relations humaines à cultiver au sein de son équipe. « On ne se déconditionne pas en un jour de 15 ans de formatage » me dit-elle ! Cela me fait penser à cette citation de John Kabat Zinn « Où tu vas, tu es ». Il ne suffit pas de changer d’endroit pour changer de manière de voir les choses et d’agir. Le changement prend du temps.

Éric est Directeur Administratif et Financier. Hypersensible, il n’a jamais jusqu’à ce jour réussi à trouver sa place dans le type d’environnement qu’il côtoie depuis sa sortie d’école de commerce. Sa demande ? L’aider à se dé-formater pour trouver sa voie…

Et si cette nouvelle année, faisant suite à une année où l’impossible est survenu – une partie de l’économie à l’arrêt, les avions au sol, le fort développement du télé-travail, les prises de conscience concernant ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas – était l’occasion ou jamais de se lancer dans une opération de déformatage ?

D’abord comprendre


Comme toujours, la première étape est de bien comprendre les mécanismes à l’œuvre, en l’occurrence, ceux du formatage. En soi, rien de répréhensible à cela. Se former c’est se formater pour s’approprier un savoir, des compétences. Ensuite vient le temps qui peut permettre non pas de désapprendre, ce qui n’est guère possible mais plutôt de nous autoriser d’autres manières de faire.

Le livre de Maurice Midena sera donc un bon rappel pour toutes celles et ceux qui sont passés par les écoles de commerce (le mécanisme en école d’ingénieurs ou à science po ne doit pas être très différent !) de ce qui les a façonnés. Une prise de conscience a posteriori tant la distance critique peut manquer durant les années estudiantines. L’absence d’esprit critique est d’ailleurs l’un des éléments marquants de ce que rapporte l’auteur. Ce point me semble néanmoins discutable. Un nombre non négligeable d’élèves se montrant critiques lors de leurs études, déplorant notamment un manque de stimulation intellectuelle (ce qui contraste fortement avec l’intensité de l’émulation intellectuelle des années de classes préparatoires HEC). Plus largement, l’auteur met l’accent sur l’absence d’enseignement critique.

Peut-être parce que l’enjeu, pour les écoles, n’est pas tant d’enseigner à bien penser que de fournir les clés de la réussite à la sortie. Une réussite qui dépend moins de l’acquisition de savoirs que de l’aptitude à intégrer les codes de l’entreprise, à s’adapter et rebondir et à travailler en équipe. Dispositions que la vie associative, très valorisée par les écoles, favorise grandement. Dès lors tout très bon élève sera taxé de « polard ». Tandis qu’il faut précisément être un excellent élève pour accéder au sésame, changement de décors à l’entrée ! Changement des codes et des critères de l’important. La star n’est plus le premier de promo mais le président ou la présidente du BDE (Bureau des élèves) ou BDS (Bureau des Sports) ou de la Junior entreprise…

Ensuite décider

C’était pour moi il y a 20 ans mais au fond rien ne semble avoir vraiment changé ! Pour autant il ne serait pas juste de ne pas rendre à César ce qui est à César. Ce que fait l’auteur à la fin de cet essai.

Pour ma part, si c’était à refaire, mes choix seraient-ils différents ? Suivrais-je un double cursus école de commerce / philosophie ? Très certainement. J’ai décidé à 40 ans de reprendre des études de philosophie. Il n’est donc jamais trop tard. Car au fond l’important n’est pas tant ce qui nous a construit hier que ce que nous en faisons aujourd’hui. «L’important n’est pas ce qu’on a fait de moi mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi.» écrivait Jean-Paul Sartre. A méditer en ces circonstances particulières invitant au renouveau.

Livre

Entrez rêveurs, sortez manageursMaurice Midena

« Entrez rêveurs, sortez manageurs » : telle était la promesse de l’Inseec en 2018, dans une campagne de publicité recouvrant les murs du métro parisien. Ce slogan, dont le cynisme a été raillé sur les réseaux sociaux, dit beaucoup du processus de formation des étudiants passés par ces grandes écoles de commerce : la conversion de bons élèves, consacrés par le système scolaire, aux impératifs de l’entreprise. D’une formation académique en classe préparatoire ou à l’université, ils glissent, le plus souvent sans mise en garde, dans un monde où rentabilité et efficacité sont les maîtres-mots. Confrontés à l’indigence intellectuelle du contenu de leurs cours, ils se livrent bientôt aux plaisirs faciles de la vie étudiante, entre soirées d’excès, engagements associatifs et échanges dans des universités à l’étranger. Cette immersion au coeur d’une expérience dense et intense joue le rôle de catalyseur dans leur adhésion à un projet de formation – et de vie – qui pourtant répugne au premier abord à nombre d’entre eux. Car loin de n’être que des « loups de la finance » en puissance, ces futurs cadres sont souvent taraudés par de profondes questions existentielles..

Éditeur : La Découverte